Survivrons-nous au progrès ?

Armé des plus grands penseurs de l'écologie du XXIème siècle, ce documentaire diffusé mardi sur Arte jette une vision pessimiste sur la civilisation que l'homme a fondée et qu'il détruit à petit feu.

Crédit photo : survivingprogress

Derrière la vitre, une femelle chimpanzé déambule, son petit dans les pattes. Elle connaît parfaitement cette salle où les comportementalistes l’observent, à coup de cubes en bois à glisser dans des trous et de bananes en guise de cadeaux. Le spectateur épie son ancêtre comme s’il s’observait lui-même dans un miroir, mais des millions d’années plus tôt. Le singe sait que la caméra le scrute. Impassible, il toise l’objectif. Un regard curieux sur son descendant devenu intelligent. « Le seul être vivant à détruire son habitat », nuance la primatologue Jane Goodall.

À qui la faute ?
C’est la question que pose le documentaire de Mathieu Roy « Survivre au progrès », diffusé ce mardi 5 juin sur Arte et produit par Martin Scorsese. Le réalisateur de « La dernière tentation du Christ » serait-il resté imprégné de manichéisme ? Ronald Wright, auteur du best-seller Brève histoire du progrès, qui a inspiré le film, ouvre le bal. Pull sombre, regard austère et traits tirés, l’écrivain tranche : « Il y a le bon et le mauvais progrès. » Le noir, le blanc. Le bien, le mal. Le documentaire ressasse une vieille rengaine sur ce que l’homme et « la civilisation qu’il a fondée » vont devenir au rythme auquel nous consommons. « Nous », les deux milliards d’êtres humains qui vivons aisément et les cinq milliards d’autres qui y aspirent. Comme ce guide touristique chinois, Cheng Ming, qui se ravit de pouvoir enfin manger des tomates et des pastèques toute l’année, un luxe « inespéré il y a vingt ans ».

Exploitation outrancière des ressources
La tendance à vouloir plus, qui serait « notre nature », essouffle la planète. Le documentaire balaie les grandes problématiques : de la fabrique de la dette à la crise financière, de l’explosion démographique à l’exploitation outrancière des ressources. Illustré par des reportages autour du monde (Etats-Unis, Brésil, Afrique, Chine), « Survivre au progrès » laisse converser les grands penseurs de notre temps, l’écrivaine Margaret Atwood, le biologiste Craig Venter, le généticien David Suzuki et la ministre de l’Environnement brésilienne Marina Silva.
Un enchaînement de belles réflexions, parfois affolantes, mais qui n’explorent rien de nouveau. Heureusement, Mathieu Roy et Harold Crooks plongent la caméra derrière le rideau. En pointant du doigt la déforestation de l’Amazonie, les réalisateurs interrogent l’une des gardiennes du temple vert. Agent de la police environnementale, Raquel Taitson Queiroz traque les coupes de bois illégales. D’une scierie à l’autre, elle scrute les troncs. Les ouvriers ragent. Elle aussi, car avant elle croyait « pouvoir défendre ses principes ». Niet. Elle ne sert à rien, si ce n’est à sauver un hectare de la tronçonneuse de paysans qui veulent nourrir leurs familles. Sauf que les coupables ne sont pas là. Il faut les chercher « aux Etats-Unis », un symbole pour désigner l’étranger, le puissant à qui le Brésil brade ses richesses.

Notre cerveau incapable d’analyser la réalité à long terme ?
Le film assène que le mécanisme de notre planète devient irrationnel, déconnecté du concret et finalement incompréhensible. Même pour l’être le plus évolué de la planète. Si la nature se retourne contre nous, alors le progrès permis par l’intelligence humaine aura été une impasse. Comme si notre cerveau était parfaitement construit mais incapable d’analyser la réalité à long terme. A force de catastrophisme, ce refrain est gênant. Mais il est encore plus gênant de devoir l’égratigner alors qu’il s’appuie sur d’aussi grands personnages.

« Survivre au progrès »

un documentaire de 86 minutes réalisé par Mathieu Roy et Harold Crooks, produit par Martin Scorsese. Diffusion mardi 5 juin à 20h35 sur Arte.