Analyse - 02/04/2013

Rappel de 380 000 véhicules de VW en Chine et rappel à l’ordre des autorités chinoises

La chronique de Bernard Jullien, Maître de Conférence à l'Université de Bordeaux et conseiller scientifique de la Chaire de Management des Réseaux du Groupe Essca.

Alors que le salon de Shanghai ouvrira ses portes dans moins de trois semaines, le premier trimestre 2013 aura été marqué par les signaux relativement transparents envoyés par le marché et les autorités chinoises concernant les perspectives offertes aux uns et aux autres dans le pays. Après une année 2012 qui a vu la Chine confirmée dans son statut de ballon d’oxygène pour l’industrie automobile mondiale et les constructeurs japonais souffrir très rapidement d’un accès réduit à cet air frais, il semble bien que l’année s’ouvre sur la réaffirmation par les autorités chinoises de leur volonté politique de permettre aux acteurs chinois de tenir dans la croissance et la structuration du marché et de l’industrie une part plus active.

En dehors des mesures symboliques prises pour obliger les autorités centrales et locales à s’équiper en véhicules chinois plutôt qu’en Audi ou en Buick, il est difficile de ne pas saisir le rappel des véhicules VW comme relevant de cette logique : on apprenait il y a deux semaines en effet que Volkswagen devait, à la demande de l’AQSIQ (administration chinoise du contrôle de la qualité, de l’inspection et de la quarantaine), rappeler 384 181 véhicules des marques Volkswagen (Passat, Touran, New Bora, Sagitar, Magotan, Lavida, Golf Variant, Scirocco et Cross Golf), Audi (A3) et Skoda (Octavia et Superb), produits entre décembre 2008 et mars 2013, dotés d’une boîte de vitesses DSG. Dans la même lignée CCT (China Central Television) s’est fait l’écho fin mars de plaintes contre les véhicules de BMW, Audi et Daimler AG qui utiliseraient pour réduire les bruits et absorber les vibrations des matériaux émetteurs de fumées très dommageables à la santé des consommateurs : les reportages de CCTV citaient à l’appui de leurs allégations des tests réalisés par la Beijing University of Chemical Technology qui auraient permis de repérer des traces d’asphalte. La presse chinoise elle même voit là des "signes de frustration des autorités chinoises face à la domination du marché automobile le plus important du monde par des marques étrangères qui jouissent ici d’une réputation de qualité". En dehors des directives prises en décembre pour inciter les officiels à ne plus acquérir que des véhicules des marques nationales comme on le fait dans tous les pays qui ont des constructeurs nationaux, les autorités responsables de l’industrie avaient ainsi en janvier renouvelé leurs appels à la "consolidation" d’une industrie automobile encore trop éclatée avec comme objectif affiché la création de trois à cinq constructeurs aptes à développer des marques domestiques aptes à séduire les conducteurs chinois.

Pour Axel Krieger de McKinsey, cela signifie clairement que les grands constructeurs mondiaux présents en Chine vont devoir prêter une attention beaucoup plus grande aux volontés de Pékin qu’ils avaient traitées un peu légèrement depuis quelques années. Pour lui la question stratégique ne peut plus se réduire à celle de savoir comment engranger des profits, il faut désormais raisonner en termes de politique industrielle et se demander comment on peut aider la Chine à construire son industrie automobile. Les constructeurs connaissent les objectifs affichés depuis des années souvent par les politiques chinoises. Ils ont regardé depuis trois ou quatre ans la dynamique se nouer sans que Pékin n’obtienne de progrès notoires et ont sans doute espéré que le "pragmatisme" chinois conduise les autorités à jeter l’éponge. Sur l’électrique, sur le rééquilibrage de la production entre la côte Est et la Chine de l’intérieur, sur les consommations des véhicules, leur taille ou leurs prix, sur les parts de marché relatives des marques des grands constructeurs et des marques chinoises, le cap est fixé depuis longtemps et, au sein des JV desquelles ils sont parties prenantes, les grands investisseurs mondiaux sont censés intégrer ces objectifs nationaux. D’évidence, tel n’est pas suffisamment le cas vu de Pékin et on peut imaginer que, lorsqu’ils entendent VW ou GM annoncer les profits qu’ils ont réalisé en Chine et qu’en parallèle ils constatent la lenteur avec laquelle se développent par exemple les ventes et/ou projets de Wuling (marque chinoise "low cost" de la JV GM-SAIC), de Kaili (marque chinoise de véhicules électriques de la JV VW-FAW ou de Tantos (pour VW-SAIC), les responsables politiques chinois aient envie de battre le rappel.

Tels des dealer d’héroïne, les pouvoirs publics chinois ont, dans un premier temps, permis aux multinationales étrangères d’atteindre à assez peu de frais le Nirvana. Maintenant qu’ils sont dépendants des volumes et des profits qu’ils réalisent là bas, les "partenaires" sont fermement informés que, pour pouvoir continuer à injecter dans leurs comptes l’élixir chinois de la santé automobile, les contreparties en termes de transferts de technologies et de partage du pouvoir commercial vont être plus lourdes. Dans la mesure où la descente de speed pourrait être terrible pour beaucoup de géants mondiaux de l’automobile, il va leur être difficile de refuser de payer leur du au développement d’une industrie automobile davantage conforme structurellement à celle dont le dealer a envie. Et, s’il est vrai que le dealer ne peut se passer de ses clients, ces derniers ont trop besoin du produit pour que le jeu s'équilibre.

Bernard Jullien


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